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L’intrus dans la tête : une histoire d’espoir

  le 29 octobre, 2024

Écrit par Zeïneb Gharbi

Une journée ordinaire

Nous sommes le 5 novembre 2021. Cela fait quatre jours que je vois double plusieurs fois dans la journée : en regardant la télé, l’écran d’ordinateur, l’extérieur par la fenêtre du salon. Cela ne me fait pas particulièrement mal, mais s’accompagne parfois de vertige. Je fais quelques appels à des cliniques d’optométrie pour prendre rendez-vous, sans succès. Je me décide à aller à l’urgence de l’hôpital de Gatineau, mais pas avant d’assister à deux réunions de travail le matin. À l’époque, l’urgence ferme à 18h!

Il est midi. Je prends la voiture – ne sachant pas que je passerai la nuit à l’hôpital – ma musique instrumentale d’ Anouar Brahem’s et mes écouteurs. Je crains de ne pas pouvoir lire pendant les longues heures d’attente à venir. En début de soirée, la jeune urgentologue qui m’examine à une hypothèse, qu’elle garde pour elle.

Elle demande un scan qui montre « quelque chose » dans la tête, m’informe que je passerai la nuit à l’hôpital pour passer une imagerie par résonance magnétique (IRM) tôt le lendemain matin, puis termine son quart de travail. Je ne la reverrai plus, mais sa voix douce reste dans ma mémoire.

Toujours pas alertée, juste embêtée de priver ma douce moitié de la voiture stationnée à l’hôpital, je passe l’IRM et attends que le neurochirurgien le lise pour moi. Il arrive ce jour-là de l’hôpital de Hull, où se trouve le département de neurochirurgie. (Déjà, cette spécialité n’est pas rassurante.)

Après quelques heures passées à écouter la musique de Brahem et à méditer pour me distraire de l’ambiance de l’urgence, je le rencontre enfin. Il me pose les mêmes questions que la veille et me déclare le plus simplement du monde : « Vous avez une tumeur, Madame. » Ce à quoi je réponds : « Vous voulez dire une sorte de caillot de sang? » Le déni est une arme secrète. « Non, une tumeur, un méningiome, de bas grade, a priori, logé dans le sinus caverneux. »

S’ensuivent alors des consultations, des explications, des scénarios, une référence rapide au CHUM (le Centre hospitalier universitaire de Montréal), le tout en pleine pandémie et demi-confinement (pas d’accompagnateur, pas de visiteurs).

Le 5 janvier 2022, j’ai une craniotomie pour me faire enlever une petite partie du méningiome: une tumeur non maligne, mais qui change une vie tout de même. On me dit que l’opération a duré huit heures.

Je suis reconnaissante pour ma chance : je n’ai pas de séquelles sur le plan de la motricité, de la mémoire ou de la parole. Cela dit, il y a un avant et un après. Sensibilité à la lumière et aux bruits, fatigue excessive, énergie basse et autres petits tracas de la vie qui s’ajoutent à apprendre à vivre « avec », en plus des IRMs et des examens périodiques en neuro-ophtalmologie. Aujourd’hui, ma réalité est de vivre en sursis. Mais VIVRE tout de même, pleinement, avec les moyens qui se présentent au jour le jour.

Et la santé mentale dans tout ça?

Zeïneb GharbiÉtant d’un tempérament anxieux, j’avais traversé tous les événements de ma vie, significatifs ou non, avec une boule d’acier dans le ventre. Mais pas cette épreuve.

Déjà, avec la première année de la pandémie, j’avais mesuré à quel point la vie peut soudainement changer du tout au tout.

Il n’y a pas de mode d’emploi pour passer à travers cette (més)aventure, surtout quand on signe pour le restant de ses jours. On puise dans nos réserves, on développe des stratégies et des outils. Pour moi, c’est la foi avant tout, accompagnée de diverses pratiques de méditation et de ce qui s’y rattache : gratitude, autocompassion et acceptation. Le soutien des gens qui nous entourent (famille, amis et collègues) est crucial, même quand ils pensent qu’ils en font très peu pour nous. Au contraire, ils en font plus que ce qu’ils pensent!

Après trois mois de convalescence suivant ma chirurgie au crâne, je suis revenue au travail de façon très graduelle. J’ai eu la chance de travailler au sein d’une équipe qui a grandement facilité mon retour. La clé, c’est d’expliquer de quelles mesures de soutien nous avons besoin, au-delà de la note laconique du médecin. Dans mon cas, la gestion m’a fourni un cadre souple où j’ai pu commencer avec des objectifs modestes, jusqu’à retrouver ma vitesse de croisière.

Ce retour au travail ne s’est pas fait en ligne droite, loin de là. Retrouver ses capacités intellectuelles quand on est analyste n’est pas une mince affaire. C’est aussi l’attribut qui nous définit en grande partie comme professionnel. Cette flexibilité de la part de la gestion m’a permis de récupérer graduellement toutes mes capacités.

Il y avait des journées écourtées, des trous de mémoire (qui persistent) et une vigilance fluctuante par moment. Mon œil de lynx ne repère plus mes propres coquilles dans un texte écrit. Je peux arrêter au milieu d’une phrase pour chercher un mot qui ne vient pas, ni en français ni en anglais (ni en arabe ☺). Mais l’attitude positive et solidaire de l’équipe fait que je prends simplement une respiration, puis je reformule ma phrase.

Le retour à la normale, vraiment?

Zeïneb GharbiAprès la tempête, il y a la lumière. Ce n’est pas anodin que la Fondation canadienne des tumeurs cérébrales ait choisi l’ESPOIR comme concept central pour ses activités. L’espoir a une signification particulière pour chacun d’entre nous. Pour moi, c’est un choix. Espérer est un état d’esprit intentionnel. Il faut le décider, parfois tous les matins, pour « traverser » la journée, les tests médicaux, l’attente de ce qui advient, le plus sereinement possible. C’est le rappel que tout est possible, même une rémission complète.

« L’espoir fait la différence entre s’accrocher et abandonner. »

La qualité de notre présence et de notre attention aux petites choses de la vie fait toute la différence. Le parfum du premier café fraîchement pressé du matin couvre le brouillard avec lequel je me lève; la liste d’écoute choisie pour commencer la journée agit directement sur le mental; l’idée d’une autre journée de travail où l’on apprendra une nouvelle chose ou, mieux encore, on aidera un ou une collègue ou le patron dans ses tâches; surprendre les ados avec un souper qu’ils aiment en fin de journée; garder un (ou deux ou trois) livres à portée de main : tout ça agira mieux qu’un Tylenol, parfois.

Tout cela donne un peu de sens à ce qui n’en a pas (pourquoi je dois vivre avec un intrus dans ma tête pour le restant de mes jours?) La qualité de notre présence à notre propre vie, dans les petits gestes, fera en sorte que « le tout est plus grand que la somme des parties », comme l’a si bien souligné l’artiste québécoise Ariane Moffatt dans sa chanson Miami!

Mon horizon est parfois de l’ordre de quelques heures, parfois de trois jours, et quand je suis chanceuse, de quelques mois. Finie la planification à moyen et long terme, mais c’est aussi ça le lâcher-prise : « Keep calm, nothing is under control ». Et c’est exactement là que la vie nous fait les offrandes les plus précieuses : de nouvelles amitiés, des voyages inespérés, des échanges enrichissants, etc.

Ce que je croyais être le fin mot de l’histoire

Tout peut arriver, et tout passe. Notre aptitude à s’adapter au changement, à être résilient et à surmonter les épreuves est un muscle qui se travaille avec le temps. « On ne naît pas résilient, on le devient », pour emprunter à Simone de Beauvoir la structure d’une de ses expressions si chères à mon cœur.

« Il y a de bonnes journées et des moins bonnes, où on a besoin de chercher notre espoir un peu plus profondément, pour se rendre compte qu’il est toujours là, tapi dans un coin de notre âme. »

Il va sans dire que je suis allée chercher de l’aide; j’ai suivi une thérapie et pris des antidépresseurs, car une craniotomie est généralement suivie d’une dépression (un extra!). J’ai aussi pu compter sur un groupe de soutien et des webinaires spécialisés, et j’ai enfilé les lectures sur les tumeurs cérébrales et les sujets connexes. Maintenant, je lis des BD et des romans graphiques : plaisirs littéraires pas vraiment coupables.

Épilogue

Zeïneb GharbiSans rien perdre de mon optimisme, je passe une IRM de suivi début septembre 2023, la discussion avec mon neurochirurgien quelques semaines plus tard révèle que le méningiome grossit lentement et exerce donc plus de pression sur le nerf optique, et sur l’hypophyse.

Je suis référée au Centre de cancérologie de Gatineau pour explorer la possibilité d’un traitement de radiothérapie. Le nom du centre sonne l’alarme dans ma tête. Je comprends vite que la radiothérapie est ma seule option dans le cas présent, je subis donc 30 séances d’une quinzaine de minutes chacune, quotidiennement. La bonne nouvelle, parce qu’il y en a toujours une, est que le Centre est à dix minutes de la maison en voiture! Un mois plus tard, l’IRM confirme que le traitement a fonctionné du fait que le méningiome a arrêté de grossir.

Malgré les effets secondaires des rayons accumulés dans ma tête, j’ai traversé ces semaines avec une certaine sérénité grâce à une fabuleuse équipe de soin. Il y avait mon oncologue, son infirmière pivot et les technologues en radiothérapie, toujours empathiques et souriants. Un suivi hebdomadaire serré me permettait de poser mes questions, alléger les symptômes qui s’additionnent au fur et à mesure que j’avance dans le traitement (nausée, élancement dans la tête et extrême fatigue).

Aujourd’hui, tout ceci est chose passée, Il reste que mon nouveau niveau d’énergie est définitivement plus bas qu’avant le traitement mais c’est tout à fait vivable. Je goûte de nouveau aux plaisirs simples de la vie : marcher dehors, cuisiner, assister à une pièce de théâtre et même prendre part à une retraite de méditation dans un monastère le temps d’un week-end!

Je suis maintenant suivie par une endocrinologue pour s’assurer du bon fonctionnement de l’hypophyse, en plus d’examens en neuro-ophtalmologie et d’IRM périodiques. Ma gratitude va à tous ces professionnels de la santé qui contribuent à notre survie. Je suis toujours les activités de la Fondation comme la marche annuelle qui aura lieu en juin 2024, le mois de sensibilisation aux tumeurs cérébrales (mai), les webinaires avec spécialistes et survivants, etc.

La vie est un cadeau, prenez soin de vous!